Les 118 canons
Saviez vous que les meilleurs navires de la fin du XVIIIe/début du XIXe siècle n'étaient pas anglais mais bel et bien français ?
Il s'agissait des fameux 118 canons français, classe "Le Commerce de Marseille"...
Gravure française représentant Le Commerce de Marseille peu aprés son lancement.
Conçu par Jacques-Noël Sané et un officier de marine savant, membre de l´Académie des sciences, le chevalier Jean-Charles de Borda, tous deux génies de l'architecture navale étant les concepteurs des plans-types des frégates et des vaisseaux de 74, 80 et 118 canons (les navires issus de ces plans armeront notre Marine en grand nombre et pendant plusieurs décennies), le vaisseau Le Commerce de Marseille, construit en 1788 à Toulon grâce au financement des commerçants de la ville de Marseille (ce qui explique le nom du bâtiment), est un vaisseau de 1er rang de 124 canons. Long de 196 pieds 6 pouces (65,18 m), large de 50 pieds (16,24 m), ayant un creux de 25 pieds (8,12 m), déplaçant 3000 tonneaux, ce vaisseau était armé dans sa batterie basse de 32 canons de 36 livres, dans sa deuxième batterie de 34 canons de 24 livres, dans sa batterie haute de 34 canons de 12 livres et sur les gaillards de 20 pièces de 8 livres et de 4 caronades de 36. Le Commerce de Marseille était alors réputé comme le meilleur navire en service dans le monde, mais il était surtout le plus grand de son époque, plus long de 2 mètres que le célèbre Santisima Trinidad.
Capturé le 29 août 1793 par les anglais à Toulon, Le Commerce de Marseille intégra la Royal Navy sous le même nom
(HMS Commerce de Marseille). Souffrant d´un complexe d'infériorité à l'égard des constructions navales françaises, la Royal Navy effectuera de nombreux essais sur le
navire. Le rapport anglais sera d'ailleurs très élogieux à l'égard du Commerce de Marseille, un vaisseau "aux lignes exceptionnellement fines, un bon navire de haute
mer [...]. En dépit de ses dimensions, il navigue comme une frégate, il a une bonne tenue à la mer. Peu de navires sont comparables à lui, c´est un remarquable navire, très sûr et aisé".
Pourtant, la Royal Navy ne sut quoi faire de cet "excellent" vaisseau et le transforma en ponton dès 1799 avant de finalement le détruire en 1802. En effet, beaucoup à l'époque considéraient les
vaisseaux de trois-ponts comme peu utile au combat, étant peu rapide et peu manoeuvrant par rapport aux navires de 74 ou 80 canons. L'un des plus importants constructeurs anglais, Gabriel
Snodgrass, spécialiste des bâtiments de l'East India Company, jugeait les trois-ponts français comme des "monstres ridicules" totalement inutile au combat. Il n'empêche cependant que ce
formidable vaisseau manoeuvré par plus d'un millier d'hommes (environ 1120 hommes d'équipage) était très impressionnant.
En tout, 15 navires trois-ponts du type Le Commerce de Marseille seront construits, la construction des 3 premiers débute sous l'Ancien Régime (Le Commerce de Marseille, l'Océan et l'Orient), la construction de 2 autres navires débute durant la Révolution (La République française et Le Vengeur), la construction des 10 autres commençant tous sous le Consulat et le Premier Empire (l'Austerlitz, Le Wagram, l'Impérial, Le Montebello, Le Héros, Le Souverain, Le Formidable, l'Inflexible, Le Marengo et Le Tonnant) seul 5 entreront en service sous l'Empire, les 5 restant sous la Restauration. Attention, plusieurs de ces navires changeront de nom (Voir le tableau un peu plus bas).
Le plan des vaisseaux trois-ponts conçu par J-N Sané est une grande réussite, les vaisseaux de 118 canons étant jusqu'alors considérés comme d'imposants et médiocres bâtiments. Malgré tout, le faible nombre de navires de ce type construit (15) montre combien le trois-ponts n'est pas le vaisseau de base de la Marine française, la préférence allant aux 74 et 80 canons, et de plus en plus aux frégates, bâtiments beaucoup plus légers et donc beaucoup plus rapides et beaucoup plus manoeuvrables. La puissance de feu supérieure n'offre en outre aucun avantage décisif, et le tirant d'eau très important impose à ces vaisseaux un mouillage en eau profonde, c'est à dire relativement éloigné du rivage. Ce dernier point permettra aux anglais de prendre l'escadre française entre deux feux à Aboukir, l'Orient étant mouiller assez loin du rivage. Le trois-ponts reste avant tout un vaisseau de prestige, portant la marque de l'amiral commandant de l'escadre.
Malgrés tout, les trois-ponts, outre leur puissance de feu et la grande stabilité de leur plate-forme, présentent, en effet, de serieux avantages. Plus hauts sur l'eau, ils peuvent, par mauvais temps, utiliser plus longtemps les canons de leur batterie basse, alors que les navires de moindre rang sont contraints de fermer leurs sabords inférieurs et sont alors privés de leur artillerie principale. Dominant leurs adversaires, ils peuvent plus aisément, à courte distance, les accabler de leurs armes légères, tout en opposant un obstacle escarpé à leurs équipes d'abordage. Enfin, construits avec des bois d'echantillon plus forts, ils offrent une plus grande résistance aux coups de l'ennemi.
Note: Dans plusieurs ouvrages anglais, on peut lire que les navires trois-ponts de la classe Le Commerce de
Marseille, à cause d'une mauvaise structure, avaient de graves problèmes de solidité. Ces problèmes ayant même eu pour conséquence, selon certains auteurs anglais, l'explosion de
l'Orient, lors de la bataille d'Aboukir, à cause d'un défaut de conception !!! En outre, les Anglais ont toujours considérés que les navires français étaient "fragiles" car ils
étaient construits avec beaucoup plus de légèreté que les navires britanniques... Cette légèreté donnant un avantage important pour les évolutions et la vitesse du bâtiment.
Pourtant, la quinzaine de vaisseaux trois-ponts issus du plan-type du Baron J-N Sané, dont fait partie Le Commerce de Marseille, n'ont pas montrés le
moindre manque de solidité. L'Océan restera en service environ 65 ans dans la marine française et Le Souverain prés de 66 ans (Voir
ci-dessous).
Gravure anglaise datant de 1802 représentant Le Commerce de Marseille. On remarquera le pavillon national type 1793: pavillon blanc avec un quartier tricolore.
Navires du type Le Commerce de Marseille:
Plans du Commerce de Marseille (source: "Monographie du Commerce de Marseille" de Gérard Delacroix):